Vous êtes tuniso-suisse. Pourriez-vous vous présenter davantage, notamment sur votre parcours académique ?
J’avais 5 ans quand mes parents ont décidé de quitter la Suisse pour s'installer définitivement en Tunisie. J'ai dû redoubler la maternelle pour apprendre l'arabe et j'ai fait toute ma scolarité dans un quartier populaire de la banlieue sud de Tunis, avant d’aller au Lycée Rue de Russie au Centre-ville de Tunis, près de la place Barcelone. J’ai beaucoup déambulé dans ses rues avec mes amis. Pendant nos heures creuses, on se promenait dans les souks et on allait boire un thé à la menthe au café des Chaouachine. Je savais déjà au lycée que j’allais faire un cursus artistique ! Après mon baccalauréat, j’ai intégré l’École Supérieure des Sciences et Technologies du Design (ESSTED). Mon trajet s’est allongé, et j’ai découvert le métro et la ville qui défile à travers la vitre.
C’est la spécialité design image que j’ai choisie, ce qui m'a conduit à devenir graphiste et à intégrer à la fin de mon cursus le circuit des agences de communications. En parallèle, j'ai fait un Master de recherche en Sciences et Technologies du Design, et mon parcours s'est encore allongé, entre Bizerte et Tunis. A travers la vitre, j'ai alors découvert des paysages et tout l'aspect méditatif qu'offrent les longs trajets.
Après une dizaine d’années très formatrices dans la com’, j'ai décidé que cela me suffisait. J’ai alors démissionné sur un coup de tête et entamé une formation en Management Culturel qui m’a ouvert de larges perspectives et m’a préparé à lancer mon projet.
Pourriez-vous nous présenter Glibett en quelques mots ?
Glibett est tout d’abord un studio d’illustration qui accompagne ses clients dans la concrétisation de leurs projets. Pour une fresque ou une identité de programme, l’illustration est dans tous les cas un média versatile que nous manions avec expertise pour déployer des concepts.
Glibett a également une visée associative : elle œuvre pour sensibiliser à l'importance de l'illustration. Elle a d’ailleurs fédéré une communauté qui se trouve être autodidacte car ce métier n'existe pas pour le moment en Tunisie, ni à l’Institut supérieur des beaux-arts de Tunis (ISBAT) ni à l'ESSTED. C'est un énorme manque pour la mise en valeur de notre ADN culturel. On doit absolument y remédier.
Quels sont les retours les plus récurrents de la part du public sur votre travail ?
Nos partenaires se rendent comptent qu'on peut tout à fait traiter des sujets sensibles - sérieux et de haute importance - avec une approche ludique et décomplexée. Finalement, on est tous des êtres humains, quelle que soit la sphère où nous nous trouvons. Consciemment ou non, nous fonctionnons tous avec les mêmes mécanismes. Notre rôle en tant que créatif est de réussir à titiller les sens des plus réticents !
Quelles sont vos inspirations ?
Sur le volet de l'atelier, c'est vraiment l'étude de contexte qui nous oriente sur la direction artistique à prendre. Une fois qu'on a défini nos axes de réflexions, on choisit une orientation en adéquation avec le message que l'on veut faire circuler. J'emploie le mot « circuler » parce qu'il a son importance : selon la multi-media storyteller Nathalie Sejean, c’est par la circulation, la mise-en-avant et le bouche-à-oreille actif que des révolutions peuvent se faire. Plus une histoire dure dans le temps, donc plus elle circule, et plus elle a un impact. Je trouve sa réflexion très intéressante. Cette adepte de la "protopie", néologisme inventé par le futurologue Kevin Kelly, nous explique en gros qu'il est possible de penser l'avenir autrement que dans l'utopie ou la dystopie en faisant circuler de belles histoires. Ça donne de l'espoir !
Je m'éloigne un peu de la question mais mes interrogations personnelles font partie de mon processus créatif et mes trouvailles nourrissent mon imaginaire. Quand je travaille sur des sujets plus personnels, j'utilise plus généreusement des référentiels culturels qui peuvent être très tunisiens mais aussi très universels. J'ai une boîte a références secrète : Tayara.tn, ce site de vente d'objets entre particuliers où l’on trouve une multitude d'objets qui ont appartenu à quelqu'un a un moment donné. J'ai l'impression de faire intrusion dans l'intimité des gens. J’utilise donc parfois ce site pour trouver un objet vintage que j'ai besoin d'illustrer dans une composition.
En tant que Suissesse, y a-t-il des choses qui échappent aux yeux des Tunisiens dans vos illustrations ? Et vice-versa.
Je ne sais pas s'il y a quoi que ce soit de Suisse dans les illustrations que je réalise. Je suis preneuse de feedbacks si mon inconscient dévoile des choses. Mais, ce qui est certain, c'est que ma biculture m'a permis de prendre une distance qui m'oblige à voir ce qui est plausible et à percevoir les nuances des deux côtés.
J’aime mettre des détails dans mes illustrations qui soient lisibles à d'autres échelles. J'aborde des sujets variés ou j'introduis des référentiels que seuls les autochtones peuvent comprendre. C’est ce qui fait le charme et l’unicité du résultat. Je n'ai pas encore fait l'exercice inverse qui est de prendre la suisse comme terrain de jeu. Mais ce n'est que partie remise !