Rencontre avec Anouar Hajjar, architecte et photographe tunisien

Article, 21.08.2024

Après avoir étudié à l’École Nationale d'Architecture et d'Urbanisme de Tunis, Anouar Hajjar a exploré de nouveaux horizons en Suisse où il a été recruté en plein COVID-19 par un cabinet d’architectes. Installé aujourd’hui à Lausanne, le tunisien de 31 ans travaille depuis plus d’un an et demi pour le célèbre bureau Richter Dahl Rocha architectes, qui « défend une architecture ancrée dans la réalité urbaine et sociale ». Rencontre avec ce jeune architecte dont l’un des projets est de faire le pont entre la Tunisie et la Suisse.

L'architecte tunisien Anouar Hajjar
L'architecte tunisien Anouar Hajjar © Anouar Hajjar

Quel a été votre parcours scolaire et académique ?

Pour mes études primaires, j’ai été à l’école publique. Pour les études supérieures, j’ai fait l’école prépa pendant une année, que je n’ai pas forcément appréciée. Ensuite, je suis allé à l’école d’architecture à l’ENAU. J’ai enchaîné avec des stages dans deux bonnes agences à Tunis dans lesquelles j’ai travaillé deux années. Puis en 2020, je devais m’installer à Rotterdam pour travailler dans l’agence de mes rêves mais la vie en a fait autrement, COVID-19 oblige ! Pendant ce temps-là, j’étais en contact avec un ami proche installé en Suisse. C’est lui qui m’a insufflé l’idée de partir en Suisse. Indépendamment de cela, j’appréciais déjà beaucoup d’architectes helvétiques. Je me suis alors dit : « Pourquoi pas ? », et j’ai envoyé une candidature spontanée. En plein COVID-19, mon profil a plu à un grand bureau d’études à Genève, qui m’a alors proposé de le rejoindre. C’est ainsi qu’a commencé ma première expérience professionnelle en Suisse.

Que faites-vous aujourd’hui ?

J’ai passé à peu près deux ans dans cette agence avant de viser encore plus grand. Je travaille aujourd’hui chez Richter Dahl Rocha architectes, à Lausanne. Culturellement parlant, c’est le graal. Il y a des Argentins, des Américains, des Espagnols et autre.... Je suis le premier Maghrébin à rejoindre le bureau. Au tout début, on m’avait accepté pour un stage. On m’a accordé une grande confiance durant cette période et j’ai pu accomplir en 9 mois ce que d’autres n’avaient pas pu faire en quelques années. 

Dans quels types de projets étiez-vous impliqué ?

Parmi les projets auxquels j’ai pu participer, il y avait l’extension de la Fédération internationale du motocyclisme. La palette de projets est très diverse, ça va de la maison individuelle, aux infrastructures publiques. Pour un architecte, il est important de découvrir le monde. Il faut vraiment toucher à tout, s’enrichir culturellement, voir des choses différentes de ce que l’on fait d’habitude. 

Gardez-vous un lien avec la Tunisie ?

Je ne veux pas perdre contact avec la Tunisie ! Fin 2022, j’y ai monté une agence. L’idée est de faire le pont entre les deux pays. Après environ 6 mois de travail, pour des raisons familiales, j’ai dû travailler depuis Tunis et faire des va-et-vient. Durant cette période, j’ai constaté qu’il y aurait beaucoup à faire. Mon expérience professionnelle en Suisse m’a fait réaliser beaucoup de choses. Même si le marché est difficile en Tunisie, il y a une grande marge de manœuvre pour tenter de nouvelles expériences.

Des projets qui vous ont marqué ?

Beaucoup. Hormis l’extension de la Fédération internationale du motocyclisme, il y a un projet de surélévation de logements à Genève. Un défi structurel et urbanistique important en raison de l’échelle du bâtiment existant. J’ai travaillé quelques mois sur ce projet, mais l’expertise de mes collègues les plus expérimentés m’a été indispensable pour le bon déroulement du projet. 

Anouar Hajjar devant le Zürich Kunsthaus
Anouar Hajjar devant le Zürich Kunsthaus © Loic Steiner

Que caractérise le plus l’architecture suisse ?

La rigueur et la culture du travail. Il y a une trame, une grille, une grande rationalité, le détail de l’exécution. Quand on voit un bâtiment par exemple, on comprend que le but est d’exprimer la qualité du travail fourni. Chercher à émouvoir n’est pas forcément une priorité. Un ressenti que l’on n’a pas forcément dans d’autres pays. 

En comparaison, l’architecture méditerranéenne est plus dans la sensation, l’émotion, et les architectes tunisiens ont tendance à vouloir reproduire en Tunisie ce qu’ils ont vu à l’étranger. Mais cela ne marche jamais : tout est lié à au contexte. 

Des architectes suisses qui vous ont inspiré ?

Herzog & de Meuron, Miller & Maranta. Quand on regarde bien, on n’est pas dans la sensation mais dans le détail. Si j’avais des exemples de travaux accomplis, je citerais la ville de Bâle qui est un véritable laboratoire d’architecture. Sur place, tout le monde connaît d’ailleurs les architectes et les agences. Une chose rare !

En termes d’infrastructures à Bâle, je pense à l’extension du musée d'Art contemporain ou à la fondation Beyeler.

Comment la Suisse et la Tunisie peuvent s’enrichir mutuellement ?

La Suisse est davantage dans la recherche. Même si elle est à la pointe de la technologie dans de nombreux domaines, elle est toutefois à la traîne par rapport à d’autres pays sur la construction en terre par exemple. Et même si le bois fait son entrée progressive, la culture de l’architecture en béton reste très ancrée en Suisse. Avec le changement climatique, on aura recours tôt ou tard au vernaculaire. Si j’avais à m’inspirer dans ce domaine, je le ferais en Tunisie où la culture de l’architecture vernaculaire est plus présente qu’en Suisse. Il y a donc peut-être un savoir-faire tunisien du vernaculaire à transmettre. Je considère que c’est un bien commun que l’on devrait transmettre aux autres. 

Ressentez-vous le côté durable de la Suisse ?

Être durable, c’est réaliser un bâtiment qui peut durer 100 ou 150 ans et qui aura plusieurs fonctions. Être à la pointe de la technologie, ce serait de reconstruire à partir de ce que l’on a déjà : chose de plus en plus fréquente en Suisse. Il y a la reconversion et la reprise d’anciens bâtiments pour les réaffecter. On assiste de plus en plus à l’acquisition d’un savoir-faire dans la reconstruction plutôt que dans la construction neuve. Le Centre-ville de Tunis pourrait par exemple bénéficier de ce savoir-faire pour être rénové. L’utilisation du bois est-elle indispensable ? Je n’en suis pas si sûr.