Ouverture du festival du film Cinemania

Medienmitteilung, 01.11.2023

Discours du Président de la Confédération Alain Berset prononcé le 1er novembre 2023 à Montréal, à l’occasion de l’ouverture du Festival de films francophones Cinemania. Les paroles prononcées font foi (nur auf französisch).

Ami-e-s des grands écrans, très chers cousins du Saint-Laurent,

C’est un privilège de me retrouver devant vous au festival Cinemania qui met cette année à l’honneur les films suisses. Vous êtes les gardiens de la langue de Molière. Pourtant, avec ce nom étymologiquement marqué de « Cinemania », vous l’avez un peu abandonné, Molière. En lui préférant Homère. Cela ne vous ressemble pas. D’autant moins qu’il n’était pas si difficile que cela de traduire « Cinemania » en français. Littéralement, par « cinémanie »: la manie du cinéma.

D’un point de vue médical, la manie du cinéma se définirait par « un état mental caractérisé par des degrés d'humeur, d'irritation ou d'énergie anormalement élevés en lien avec une consommation cinématographique ». J’en déduis que vous admettez souffrir d’une addiction au 7e art. N’étant pas uniquement ministre de la Culture, mais également ministre de la Santé – une particularité helvétique –, je suis bien placé pour vous dire que nous rencontrons exactement le même problème.

Les premiers symptômes sont connus. On tombe un jour par hasard sur une comédie. La grande séduction. Les faiseurs de Suisse. Des œuvres procurant un plaisir immédiat. Le même que celui pris à regarder de belles histoires qui se déroulent à la montagne ou sous la neige. Heidi. Maria Chapdelaine. Histoires que l’on visionne en boucle. Que l’on montre à ses enfants. Et la maladie se met à circuler, à bas bruit. On découvre ensuite que ces belles histoires sont des adaptations littéraires.

Elle est dangereuse, la littérature. Elle pousse à vouloir goûter aux classiques. Si le soleil ne revenait pas, d’après Ramuz. Incendies, d’après Wadji Mouawad. Vous noterez les thématiques évoquées. Le brouillard, la fumée: la disparition progressive de la lumière naturelle, incitant au repli vers les salles obscures. Et c’est ainsi, par le biais de correspondances subtiles qui se déclenchent dans le cerveau du patient et qui sont autant de cercles vicieux, que l’on parvient au dernier stade de la maladie. Celui où l’on se met à consommer des entretiens filmés de Jean-Luc Godard. Ou de Xavier Dolan. Le lien avec la réalité est définitivement rompu.

Oui, la cinémanie est une affection grave dont on ne se remet pas. En Suisse, nous en sommes même arrivés au-delà du dernier stade. Tout le pays est contaminé. A tel point que le peuple a adopté une loi « Netflix », en vertu de laquelle les fournisseurs de films en ligne auront l’obligation d’investir 4% de leurs recettes brutes dans la création cinématographique suisse, loi qui profitera d’ailleurs à nos partenaires de coproductions internationales. Mais pas à celles et ceux qui souhaitent guérir.

Le Canada et la Suisse s’apprêtent, raison de ma présence chez vous, à signer un tel accord de coproduction, celui-ci malheureusement guère susceptible d’endiguer la cinémanie. Inconscients que nous sommes, nous allons le parapher d’un « Oui » clair et franc. Et non d’un « Oui. Mais ». Ce qui, entre parenthèses, serait un bel hommage à l’un des premiers promoteurs du cinéma au Québec.

Ce nouvel accord offrira des conditions de financement plus faciles, de meilleures possibilités de distribution des films dans nos deux pays ainsi que de nouveaux modèles de coproduction, par exemple pour les séries. Il ne prévoit en revanche pas le sous-titrage obligatoire lorsque les accents sont trop prononcés. Mais pour compenser cela, chaque film contenant une scène avec Rémy Girard devra en contenir une autre avec Jean-Luc Bideau. Sinon, l’accord laissera subsister les petites différences culturelles. Car il en existe. Par exemple, chez nous, Anne Dorval se dit Marthe Keller. Chez vous, « Villeneuve » est le nom d’un cinéaste qui réalise des films dans le désert. Chez nous, « Villeneuve » est le nom d’une commune où l’on trouve le restaurant L’Oasis. Et chez nous, les cinémas de quartier ne s’appellent pas nécessairement cinéma Cartier.

Comment ne pas conclure par cette réplique du Déclin de l’Empire américain de Denys Arcand, le « Alain Tanner » de Deschambault, dont les merveilleux films ont permis aux cinéphiles suisses romands de découvrir votre cinéma: « Le mariage est un mode d'échange économique ou politique, ou encore une unité de production .» Il apparaît, selon cette dernière formule et au vu de l’accord à signer, que le Canada et la Suisse vont devoir être considérés comme des époux. Comme témoin de cet engagement, nous avons choisi la réalisatrice canado-suisse Léa Pool, que le festival célèbre cette année et dont la remarquable carrière symbolise à la fois l’union entre nos deux pays et la promesse d’une riche descendance filmographique.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite d’excellentes projections pleines de découvertes.


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